Quatorze marins et cinq sauveteurs disparus dans le naufrage du « Cristina Rueda » Île de Ré, le 23 février 1925.
Le cargo espagnol Cristina Rueda, long de 73 mètres, pris dans la tempête, s’est échoué.
Malgré plusieurs tentatives des secours, très peu d’hommes ont pu être sauvés. Et plusieurs sauveteurs ont aussi perdu la vie.
La tragédie s’est nouée il y a cent ans, dans la nuit du lundi 23 février 1925. Le Cristina Rueda, avec à son bord un chargement de 1 850 tonnes de superphosphates (des engrais), est pris dans une violente tempête au large de l’île de Ré (Charente-Maritime). Son gouvernail arraché par de fortes lames, il est drossé vers le sud de l’île, à 2 milles environ des côtes, en face du village de Bois-en-Ré. Les dix-neuf hommes de l’équipage tentent de mettre à l’eau deux baleinières1.
Mais le coup de tabac est d’une extrême intensité. La première embarcation chavire, noyant un de ses deux occupants. L’autre marin sera retrouvé sur la plage le lendemain matin, évanoui. La seconde baleinière finit par rejoindre la plage, mais avec un seul occupant à son bord. Celui-ci réussit à gagner le village de Bois-en-Ré (qui se nommait La Vérité jusqu’en 1927) pour donner l’alerte.
Au matin, trois pêcheurs de La Couarde-sur-Mer recueillent deux naufragés, réfugiés sur un radeau de fortune. Vers 13 heures, les observateurs aperçoivent un autre radeau se rapprocher petit à petit de la côte, poussée par les déferlantes. Une chaîne humaine est organisée et on parvient à ramener les malheureux à terre, complètement épuisés. Un seul survit : le capitaine du navire.
Les deux canots de sauvetage à moteur de la région, en alerte à La Rochelle, sont alors mis à l’eau : le Charles et le Franck Allenet, de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (S.C.S.N.) du port de La Pallice, et le Commandant Viort, des Hospitaliers Sauveteurs Bretons (H.S.B.) 2. Mais plusieurs aléas retardent leur intervention. À La Pallice, un chaland3, poussé par une rafale lors de sa mise à l’eau, heurte un canot et provoque d’importants dégâts. La marée à fort coefficient, complique encore les mises à l’eau.
Réfugiés dans un compartiment étanche, des naufragés ne sont pas repérés
Face aux difficultés rencontrées, des moyens de sauvetage supplémentaires sont mis en œuvre. Le canot à avirons Armand Forquenot, de la station des Baleines, et celui de Saint-Denis-d’Oléron, le Gabion Charron I sont mobilisés. On fait finalement venir un tracteur de Saint-Martin-de-Ré (distant de 20 kilomètres) pour acheminer le canot des Baleines jusqu’au Martray. Le mardi, vers 16 heures, il atteint finalement le Cristina Rueda. Le cargo est entièrement submergé et les sauveteurs ne voient pas la moindre trace de vie. Ils rentrent sans s’être aperçus que neuf naufragés, toujours en vie, sont réfugiés dans un compartiment étanche, malheureusement non visible de l’extérieur. Mais, dans la nuit, les douaniers aperçoivent des feux sur l’épave. Le canot des H.S.B. Commandant Viort appareille alors avec la moitié de son équipage, complété de quatre volontaires. Après quatre heures de lutte vent debout, bataillant avec son moteur de 20 ch., le canot arrive près de l’épave lorsqu’une énorme lame le retourne. Il reste la quille en l’air. Une nouvelle chaîne est organisée à terre pour tenter de récupérer les hommes agrippés à la coque, poussés vers la plage par les déferlantes.
Malgré les moyens engagés – quatre canots de sauvetage, dont deux à moteur, et une importante participation de la population – le bilan sera lourd : cinq survivants sur les dix-neuf membres de l’équipage du cargo, trois survivants parmi les huit membres du canot de sauvetage Commandant Viort, dont un seul des volontaires.
Du fait des difficultés de transmission, l’alerte avait été donnée trop tard. « Si les canots de sauvetage avaient été alertés deux ou trois heures plus tôt, ils auraient eu assez d’eau pour être lancés et se mettre en route aussitôt, regrette l’auteur du rapport sur ce drame dans les« Annales du sauvetage maritime » conservées par la S.N.S.M. Ils auraient alors, selon toute vraisemblance, effectué le sauvetage avec un plein succès. »
Parmi les volontaires embarqués sur le canot de sauvetage Commandant Viort se trouvaient deux port-louisiens embarqués sur le dundee4 lorientais Gloire à Dieu et qui attendaient à l’ile de Ré que la tempête se calme pour reprendre la mer.
Louis Le Pen était né le 18 janvier 1887 à Plouhinec. Il était marié, père de trois enfants et était domicilié rue de la Pêcherie à Port-Louis. Embarqué comme mousse en 1900, à l’âge de 13 ans puis novice sur divers bateaux de pêche, il avait fait la guerre de 14 comme matelot gabier. En 1925, il était matelot à bord du dundee « Gloire à Dieu ».
Joachim Uhel était né le 18 octobre 1893 à Merlevenez. Il était père d’un enfant et était domicilié à Kerbel en Riantec. Son parcours était semblable à celui de Louis Le Pen : embarqué comme mousse, à l’âge de 13 ans (1907) puis comme novice et matelot sur plusieurs dundees. En 1925 il était marin sur le « Gloire à Dieu ». Il avait également été mobilisé en 1914.
CF chronique port-louisienne du Centre d’Animation Historique n°6 juillet 1993
- Baleinière : embarcation longue et fine utilisée pour la chasse à la baleine au harpon.
- Ces deux associations formeront la Société Nationale de Sauvetage en Mer en 1967 (la S.N.S.M.)
- Chaland : bateau à fond plat pour le transport des marchandises sur les rivières, les canaux et dans les rades.
- Dundee : bateau de travail à voile pour la pêche au hareng, au thon ou à la langouste et pour le chalutage d’hiver.